Génial ou farfelu?

Le marché du vélo est considérable, celui des vélos-cargos est en plein essor. Et pourtant, une start-up zurichoise veut établir un nouveau type de vélo: le ‹vélo-outil›. Cela peut-il fonctionner?

Fotos: Stephan Rappo
en coopération avec suisseénergie

Le marché du vélo est considérable, celui des vélos-cargos est en plein essor. Et pourtant, une start-up zurichoise veut établir un nouveau type de vélo: le ‹vélo-outil›. Cela peut-il fonctionner?

J’ai une semaine pour évaluer un vélo. Il s’agit d’un prototype qui se veut à l’image de la bicyclette rétro devant la boulangerie John Baker : pratique, maniable et cool. Un vélo avec lequel on peut amener son encombrant percolateur chez le réparateur, lancer son sac à dos Freitag dans la caisse de transport en semaine et les courses du marché le week-end. Sur l’épaisse barre gris souris, des lettres: ‹Monopole›.

Son créateur, Nicola Stäubli, la quarantaine, a étudié l’architecture puis a longtemps conçu des sacs chez Freitag. Il y a plusieurs années, il a voulu faire autre chose: un vélo. Sa passion. Depuis toujours. Il a commencé à y travailler au sein d’un projet interne de diversification chez Freitag, puis dans sa propre structure, Toolbike. Avec son ‹Toolbike›, il ne veut pas seulement vendre un produit, mais bien lancer un nouveau type de cycle, le vélo-outil. Pas un biporteur ou un triporteur encombrant qui bloque les trottoirs, mais un outil du quotidien toujours en mouvement. «Pour te donner un meilleur flow au quotidien et inspirer le changement», clame le ‹purpose›. Vocabulaire affecté de start-up ? Nous allons voir.

L’auteur: pendant une semaine, en selle sur le ‹Monopole›.

Pour ma mission de testeur de vélo, je veux présenter le ‹Monopole› à des gens du domaine, mieux informés que moi, du réparateur pour cycles à la coursière. Depuis le magasin de Nicola Stäubli à Zurich-Wiedikon, le vélo m’emporte sur la Weststrasse, puis se faufile le long de la colonne des voitures sur la Langstrasse. Il se montre sportif dans les virages avec son prolongement à l’avant : sans doute le même effet qu’au volant d’une Ford Mustang, en plus propre. Des regards admiratifs de la part des initiés – mais je me fais peut-être des idées.


Du triangle au rectangle

Le trait marquant de ce vélo: son cadre rectangulaire. Le tube inférieur se prolonge au-delà du tube de direction, qui maintient le guidon, pour accueillir le porte-bagages. Cette barre principale (‹mono-pole›, jeu de mots sur pole, en anglais : barre, perche) étant légèrement inclinée vers le haut, le plateau de charge suit cette dynamique. Les tubes du triangle arrière (haubans et bases) ne sont pas joints aux points habituels des tubes supérieur, inférieur et de selle, mais déplacés vers le bas. Les roues sont relativement petites, avec 24 pouces à l’arrière, et 20 seulement à l’avant. Cette géométrie rappelle à un designer industriel rencontré au hasard de mes déplacements le projet d’un artiste italien. Il avait demandé à ses amis de dessiner un vélo de mémoire. Les figures ressemblaient à des dessins d’enfants, il manquait des tubes, ou ils terminaient dans le vide, les roues et la chaîne flottaient en l’air. Le cadre du ‹Monopole› semble imparfait d’une certaine façon, car sa géométrie est atypique, estime le designer. Parce qu’elle ne correspond pas à l’image que nous avons d’un vélo classique avec son cadre diamant, tel qu’il existe depuis plus d’un siècle.

Le journaliste vélo Fabian Baumann trouve que le ‹Monopole› a du caractère et qu’il n’a pratiquement pas de rival sur le segment du vélo cargo léger.

Pour Fabian Baumann, ce vélo « sort du cadre ». Il est journaliste à la rédaction du ‹Velojournal›, le magazine de vélo le plus important de Suisse qui se trouve à Zurich-Wiedikon dans la Seebahnstrasse. Son vélo cargo n’est pas motorisé – contrairement à la plupart des modèles vendus qui sont même équipés d’un moteur puissant. Mon vélo fonctionne différemment. La batterie, relativement petite, se dissimule dans le gros tube et le minimoteur dans l’essieu de la roue arrière. Il n’y a pas de console, l’utilisation et l’information se font par un bouton situé sur le haut du tube de direction. Avec son code couleur sobre, un cercle lumineux y indique l’autonomie restante et le niveau d’assistance. F. Baumann explique que dans la communauté cycliste la question du moteur est une affaire de conviction. « Ici, la propulsion doit rester inaperçue. » Pour l’inventeur lui-même, Nicola Stäubli, on doit se rendre compte une fois à destination qu’on était sur un vélo, malgré l’assistance. Comme si le moteur faisait office de vent arrière. On n’a pas les yeux rivés sur le compteur, on ne cherche pas à optimiser en continu assistance et autonomie, on roule juste. Ce qui fonctionne étonnamment bien, même lorsque le moteur est coupé, confirme F. Baumann après un essai. Et avec ses deux mètres de long et ses 22 kilos, on peut encore l’emmener dans un train. Autant d’éléments qui font son individualité. Il ne crée certes pas sa propre catégorie, mais dans la classe des « vélos cargos légers », il n’a guère de rivaux.


Un moyen de transport qui affirme son identité

Je longe la Sihl pour rejoindre la Uetlibergstrasse. Une enseigne affiche ‹Holy Cargo› et s’étend au-dessus de deux larges vitrines. Le magasin qui s’y abrite rassemble toute la gamme des vélos utilitaires d’aujourd’hui : les ‹Long Johns› avec un plateau de charge frontal bas, les ‹longtails› pratiques, mais pas cool du tout, et équipés à l’arrière d’une sorte de banc-porte-bagages où deux enfants peuvent s’assoir. Certains modèles ont de gigantesques caisses bâchées, d’autres des corbeilles légères et pliables. Plus de la moitié de sa clientèle sont des parents, mais elle compte aussi des services coursiers à vélo ou de petites entreprises, dit Christoph Häberli, l’un des cinq fondateurs de ‹Holy Cargo›. Selon Pro Velo Suisse, la vente de vélos utilitaires a presque triplé entre 2019 et 2021. C’est très bien qu’ainsi tous les parents ne prennent pas leur voiture, mais l’ennui de ces vélos : ils sont très encombrants. D’ailleurs, à Rotterdam, la ‹Cargo-Bike Mom› est le symbole même de la gentrification.

Le designer Fritz Gräber a conçu deux porte-bagages. Ci-contre, le ‹Shopper Rack› pour les sacs de courses.

L’avis des pros: «composants top», pour Robin Lehmann mécanicien vélo (gauche), ultra-sobre », selon Christoph Häberli.

Entre tous ces colosses, mon ‹Toolbike› respire l’agilité. Actuellement, deux modules de transport sont disponibles à l’achat d’un ‹Monopole›: un plateau conçu pour accueillir un bac Eurobox et un casier à compartiments où se logent deux sacs-cabas Migros. Il n’y a pas de module siège enfant indique Nicola Stäubli, car les procédures d’autorisation sont complexes et l’offre de vélos cargos destinés aux parents ne cesse de croître. Pour Christoph Häberli, il s’agit d’un vélo aux lignes «ultra-sobres» et si le prix visé de 7200 francs frôle la limite critique, il peut passer auprès d’un certain type de clientèle. «Circuler avec un vélo comme ça, c’est affirmer son identité.»

Depuis la surface de vente, le mécanicien vélo Robin Lehmann, pousse l’engin jusqu’à son atelier, le fixe sur le pied de montage, inspecte, explore et admire : de la transmission Pinion montée entre les pédales – son fabricant basé à Stuttgart la décrit comme « une boîte de vitesses vélo avec la fougue d’une voiture de sport » – de la courroie de distribution renforcée aux fibres de carbone et du bon éclairage. La transmission de la direction sur la petite roue avant par une courroie crantée est une véritable innovation par rapport aux systèmes habituels à câble ou à barre. Christoph Häberli est séduit par le braquage serré : « Un angle de braquage de folie. Franchement top ! » L’un et l’autre doivent faire une recherche Google sur le petit moteur de l’essieu arrière : deux kilos seulement, fabriqué par Mahle, un équipementier automobile de la région de Stuttgart qui s’est positionné avec la motorisation des vélos gravel et de course. Si nécessaire, une application renseigne sur les distances et la consommation. Tous les composants sont top, faits pour durer et faciles d’entretien. Son inconvénient majeur : la recharge de la batterie immobilise le vélo pendant quatre heures à proximité d’une prise électrique. Et après un certain temps, remplacer la batterie nécessite de démonter roue arrière et garde-boue.


Convient au «coursier le plus nul»?

Face à la rampe de la société de services coursiers urbains Veloblitz. Quelques coursiers barbus jettent un œil dubitatif sur mon vélo épuré. Depuis le fixie doté de pédales automatiques jusqu’au biporteur Long John sans moteur, la bonne douzaine de vélos devant la rampe parle une autre langue : dans cet univers, la technique n’est pas dissimulée, elle est installée de manière pragmatique. Les vélos doivent résister aux épreuves des livraisons jour après jour : charger et décharger, réparer et rouler, rouler, rouler. C’est aussi le quotidien de la coursière Aline Künzler, qui porte un casque et des chaussettes hautes à rayures jaunes et noires. Le ‹Monopole› n’a pas été conçu pour les services coursiers. Sa batterie serait trop petite pour un tel usage – en assistance moyenne, l’autonomie ne dépasse pas 45 km. Une distance qu’Aline Künzler parcourt en moins d’une demi-journée. Aujourd’hui, elle teste le vélo pour nous.

Transmission intégrée et courroie de distribution: longévité et entretien minimum à la clé. Photo: Jonas Weibel

Aline Künzler, coursière, juge la tenue de route « excellente », le chargement des objets « satisfaisant ». Son avis général: «très sympathique».

Elle détache le tendeur élastique du bac Eurobox posé sur les tubes latéraux du porte-bagages. Le chargement d’objets embarrassants – un balai, un tabouret, une caissette – ne la satisfait pas. La surface de chargement n’est pas plane : le jeu de direction de la roue avant y affleure au milieu. Et un chargement dont la hauteur dépasse celle du bac gêne vite la course du guidon. Sans compter que les poignées de frein peuvent y rester accrochées – a fortiori quand le plateau de chargement est incliné en direction du guidon. Selon elle, un caisson fermé pourrait résoudre le problème, en plus de protéger des aléas météo et de sécuriser les objets. Ou bien une surface de chargement plane, «la plus polyvalente possible et infaillible» – pour que même le «coursier le plus nul» s’en sorte. Et d’ajouter, en me regardant, que dans la «bulle du design», un maniement sûr est encore plus important. Elle regrette l’impossibilité d’ajouter un attelage ou un deuxième porte-bagages à l’arrière et examine la grosse béquille simple avec scepticisme: un vélo penché est moins facile à charger. Mais comme le support résiste à ses secousses et à ses poussées, elle finit par se réconcilier avec lui.

La coursière enfourche le vélo chargé d’une caisse de 18 kilos. Elle commence sans assistance – aucun souci. Le cadre en acier lui plaît par sa rigidité et elle vante la largeur du guidon, très appréciable pour les cyclistes de petite taille, comme elle. Elle monte et descend plusieurs fois la rampe d’un parking souterrain – sur assistance. «Ça suffit largement.» Le tour du quartier se fait sous la bruine. Elle accélère, freine brusquement, roule sur une pelouse, descend un trottoir. Les arbres et les bornes font office de piquets de slalom. «Il tient bien sa trajectoire et sa maniabilité est impressionnante.» Son point de vue ? Tenue de route : excellente. Chargement: satisfaisant. Avis général: «très sympathique».


Langage visuel et responsabilité

Je me rends chez Thomas Steuri, designer industriel, et monte jusqu’à Hottingen avec le vent arrière du moteur. L’apparence du ‹Monopole› polarise, m’avait dit son inventeur, Nicola Stäubli. À l’issue de mes jours de test, je n’arrive toujours pas à me décider: est-il rigo-intéressant ? Ou plutôt branché-minimaliste ? Voilà pourquoi je cherche une réponse chez T. Steuri. C’est lui qui m’avait parlé des dessins de vélo bizarres et des tentatives de reproduction. Il conçoit des produits tels que des jumelles ou des prothèses auditives pour des marques prestigieuses depuis 30 ans. Il atteste au ‹Monopole› une certaine légèreté, un côté accessible. Cela repose sur «la réduction de la complexité», la simplicité de son apparence qui permet de dissimuler toute l’électrification. Cette forme déclenche quelque chose en nous, peut-être que cela tient à des souvenirs d’enfance, à des expériences marquantes qui suscitent des émotions. «Dans le domaine des véhicules, la symbolique du langage visuel a toute son importance. Les arguments rationnels passent au second plan au moment de la décision d’achat.» Or le vélo s’oppose à la voiture : ce n’est pas l’opulence qui est recherchée ici, mais bien la simplicité, la réduction, insiste-t-il. Si cela se vérifie, le ‹Monopole› devrait toucher dans le mille.

Le cadre semble imparfait, car sa géométrie est atypique, estime le designer industriel Thomas Steuri.

Le moment est venu de rendre mon vélo. Je profite quand même du trajet retour. Bien sanglés, les treize kilos encombrants de mon vélo pliant sont posés sur le porte-bagages. Le «flow au quotidien» va me manquer. Une dernière question à Nicola Stäubli sur son objectif : que veut dire «Inspirer le changement» ? Il voit dans le ‹Monopole› sa façon de contribuer à une ville sans voiture, dont la fabrication est aussi plus durable qu’usuellement. Il est proche du soudeur français, connait son prénom, son salaire et ses jours de congé. Et il a créé l’entreprise Toolbike AG selon le principe de la propriété responsable, aussi pour transformer les flux financiers, conclut-il. Autant de contributions à une vie meilleure – et à l’image de la marque, qui, à l’avenir, doit aider l’inventeur à vendre son produit à l’étranger aussi. Une chose qu’il a apprise chez Freitag, ça pourrait donc fonctionner.

Kommentare

Andreas Konrad 14.07.2023 18:22
Lastenräder boomen ? Die Anzahl hat sich letztes Jahr zwar verdoppelt, die Gesamtzahl beläuft sich aber auf anscheinend um die 1200 Stück im Kanton Zürich. Das sind, im Vergleich mit den 737000 Autos, gerade mal 0.16 Prozent, die die wackligen Dinger am Gesamtverkehr ausmachen. Der Last- und Kilometervergleich mit dem normalen Lieferverkehr fällt noch mickriger aus: Da sind es gerade mal 0.00014 %, die die Lastenräder von einem Ort zum anderen bringen. Was Hübsches für die Fans, aber wirtschaftlich komplett irrelevant.
dynaMot 14.07.2023 18:22
Ein nettes Konzept, aber technisch leider eine Fehlkonstruktion. Wird die Getriebeschaltung so eingebaut, läuft das eine innere Zahnradwerk nicht wie vorgesehen im Ölbad, sondern trocken. Die Folge ist mit der Zeit höhere Geräuschentwicklung und massiv höherer Verschleiss. Nicht umsonst gibt Hersteller Pinion sehr genaue vorgaben, wie das Getriebe verbaut sein soll, damit seine Funktion auf lange Zeit gewährleistet ist. Dieses Fahrzeug vernachlässigt die Vorgaben leider sträflich.
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