Grâce à des simulations précises, des médecins, des architectes et des soignants évaluent la performance de modèles de soins numérisés. Le potentiel est énorme – tout comme les enjeux.
Dans un salon à l’aménagement confortable, un homme âgé est assis, recroquevillé. Il inspire et expire difficilement, semble glisser dans un état de somnolence, lorsque des coups à la porte le font sursauter. Il peine à se lever de son fauteuil, puis ouvre la porte à une jeune femme. Elle est vêtue d’une blouse verte et tient une valise noire bien remplie, qu’elle pose avec soin sur la table en bois. Immédiatement, l’homme lui explique qu’il a des palpitations cardiaques et qu’il a peur de perdre connaissance. Tous deux portent des pantoufles en feutre enfilées sur leurs chaussures, d’énormes projecteurs sont suspendus au-dessus de leur tête.
La scène fait partie du symposium ‹Building trust: Designing for remote care› du Swiss Center for Design and Health. Des observatrices suivent attentivement ce qui se déroule, prennent des notes et filment sur smartphone. Parmi ces personnes, de nombreux membres de l’équipe SCDH qui a préparé quatre scénarios de test pour l’évènement de deux jours. Ces simulations entendent montrer l’impact que l’intégration de processus numériques dans la prise en charge peut avoir pour les patientes, les soignants, les médecins et les proches. Ce cas d’étude relate l’histoire d’un homme souffrant de troubles cardiaques qui, après avoir quitté l’hôpital, reçoit des soins médicaux à domicile. Ce concept, qui porte l’appellation ‹Hospital at Home›, prévoit une prise en charge à domicile de soins cliniques.
Tirer parti du savoir des utilisatrices
Parmi les protagonistes, des soignants, des médecins et différents personnels. Quelques acteurs sont également présents. Bien que l’expérience des patients fasse défaut, les ressentis de ces personnes pendant le jeu de rôle sont des indicateurs essentiels. «Dans le cadre d’études de design, la simulation est une méthode précieuse», indique Minou Afzali, directrice Recherche au SCDH. «Vivre cette scène de manière concrète est un point de départ idéal pour lancer la discussion.»
Et les discussions, ici, sont nombreuses: chaque décision, chaque geste des participants est analysé au moment du débriefing. «Le processus n’était-il pas presque trop parfait? Cette attitude imperturbable, reflète-t-elle vraiment la réalité?», demande Deane Harder aux participantes. Il est co-organisateur de ce symposium, membre du Scientific Board du SCDH et enseigne à la Haute école spécialisée bernoise. Sont également présents plusieurs membres de l’International Advisory Board, venus des États-Unis, du Canada et de Suède. Des personnes issues d’horizons aussi divers que la santé publique, les soins, l’informatique médicale, l’anthropologie sociale, la chirurgie, la médecine d’urgence, le design et l’architecture convergent dans ce vaste hall. Très concentré, le groupe s’intéresse à l’outil de communication numérique et à son emploi. D’après le script, la collaboratrice ASD initie une visioconférence avec le cardiologue de l’hôpital qui donne des instructions via une consultation à distance et rassure le patient. L’écran nécessaire est dans la valise noire, par ailleurs remplie d’accessoires médicaux. Bien que les spécialistes présents voient des avantages dans le traitement à deux niveaux mis en scène, ils identifient également des points critiques. Ceux-ci portent avant tout sur le rôle des soignants, dont l’éventail des missions s’accroît avec ce support technologique.
Il est urgent de se saisir de la question posée par les modèles de soins numérisés: seule l’expérience permet de savoir quels outils sont nécessaires et de quelle manière s’en servir. Au carrefour entre patients, proches et hôpital, les soignants occupent une place prépondérante. Il est essentiel de transmettre leurs savoirs aux développeuses dans la tech. «Il faut que soient développées des technologies qui nous aident à aider à notre tour les patients», martèle une informaticienne médicale. Cette ancienne infirmière tenait le rôle de la collaboratrice ASD. Il apparaît clairement que la valise noire avec l’écran ne tient pas compte des besoins du personnel infirmier: la valise pèse douze kilogrammes. Il est assez peu vraisemblable que ce dispositif soit gérable au quotidien pour quelqu’un qui traverse les villes de long en large pour rendre visite aux malades.
Concevoir des espaces hybrides
La simulation soulève de nombreuses questions d’ordre technologique. Mais l’espace réel joue lui aussi un rôle important. Dans de nombreux endroits, il est à la traîne: les hôpitaux ne disposent souvent que de quelques bureaux, et c’est à peine si certains sont prévus pour les personnels soignants. Mais alors, où réaliser ces visioconférences rendues nécessaires par la télémédecine? Si elles se déroulent dans un cadre où les nuisances sonores et visuelles sont fréquentes, il est peu probable que ce contact contribue à établir un lien de confiance avec les patients. Or, la confiance est une condition essentielle à la réussite d’un traitement. Les ‹espaces de test proches de la réalité›, tels que sont désignées ces reconstitutions de logements en interne, permettent d’étudier des facteurs tels que lumière, couleurs ou matériaux ainsi que leur impact sur l’expérience des utilisateurs.
Toutefois, la possibilité qu’elles offrent de tester les flux de tâches est encore plus importante. Car si lors d’une visioconférence, les patients n’entrent pas réellement dans la salle de consultation, l’agencement de ces dernières est primordial. La façon dont elles sont organisées doit donc être soigneusement planifiée et répondre à différents scénarios. Si une thérapeute réalise sa séance depuis le canapé, l’écran doit être abaissé au niveau des yeux et le mobilier être conçu pour. Car dans un cabinet, médecin et patient se regardent aussi face à face. «Il faut penser la thérapie conjointement à la technologie, elles forment un système. Il ne faut pas implémenter la technique a posteriori», résume une psychanalyste présente. Les hôpitaux évoluent progressivement en lieux hybrides, construits pour une prise en charge classique autant que numérique. Au SCDH, on voit clairement à quel point les concevoir deviendra complexe. Il suffit d’imaginer le ‹parcours utilisateur› pour une consultation numérique, depuis la salle d’attente numérique jusqu’au cabinet. L’équipe a donc apporté un soin particulier à la préparation du script pour les scénarios de test. La priorité y est clairement fixée. «Au bloc opératoire, par exemple, le risque d’infection occupe une place importante alors que dans un EMS, ce sera plutôt la sécurité des résidents», précise Minou Afzali.
«Que dirait Florence Nightingale de tout cela?», lance à la ronde Nirit Pilosof, directrice de recherche au Sheba Medical Center en Israël et l’une des organisatrices du symposium. «Elle apprécierait certainement de disposer d’autant de données grâce à la technologie et de les exploiter pour organiser les environnements.» Infirmière et statisticienne britannique décédée en 1910, Florence Nightingale est considérée comme la fondatrice des soins infirmiers dans leur forme moderne. Elle s’est notamment intéressée aux effets qu’ont les environnements sur la santé.
Remote care
Pouvoir bénéficier de soins dans le cadre familier de son domicile a des effets positifs sur la guérison. Plusieurs études montrent que des patients suivis dans le cadre du programme ‹Hospital at Home› gardent le lit moins longtemps et se rétablissent plus vite. Ce mode de prise en charge ne convient pas toujours: il dépend avant tout du type de maladie et des conditions de vie. En Suisse, les soins à domicile sont fréquents chez les séniors, mais ils ne couvrent pas les soins cliniques aigus. D’autres pays, comme la Norvège, Israël ou le Japon, vont déjà plus loin. Sous l’influence de la pandémie, on souhaite aujourd’hui aller de l’avant ici aussi. On peut supposer qu’un jour, du fait des progrès techniques, les hôpitaux ne recevront plus que les patients dont le traitement n’est pas possible autrement. Les autres seraient soignés chez eux.
Dans cette démarche, le bien-être des patients n’est pas le seul aspect considéré. Ce nouveau modèle, qui promet également d’abaisser la pression sur les infrastructures hospitalières, et donc les coûts, semble pour l’heure exiger énormément de ressources en temps et en personnel. Si l’on en croit un expert cité en mai par un média zurichois, cette situation pourrait s’améliorer à mesure que l’expérience et l’efficacité augmenteront. Il a également porté la Grande-Bretagne aux nues: «Là-bas, grâce au monitoring électronique, quatre personnels soignants ayant reçu une formation spécifique suivent jusqu’à 60 patients simultanément.» La question de savoir s’il s’agit d’un scénario souhaitable reste ouverte, sans remettre en cause le potentiel de l’approche ‹Remote Care›. Au SCDH, personne ne doute que des technologies adaptées seront bientôt utilisées. C’est pourquoi il y a lieu de veiller à ce que leur mise en œuvre réponde aux besoins des utilisatrices. Et à ce que les planificateurs, les architectes, les designers et les développeuses apprennent à adopter le point de vue des patientes et des personnes assurant la prise en charge.