Avec un ensemble résidentiel à Lausanne, Nicolas de Courten a conjugué avec habileté le conventionnel et l’insolite. Il remporte ‹Das Kaninchen›, le Prix d’encouragement Senn pour les jeunes architectes.
Comme le fait remarquer Nicolas de Courten, «peut-être que les typologies de logements décrites dans le concours étaient un peu plus amusantes.» L’architecte le dit sans grand regret, plutôt comme une constatation. De fait, c’est dans la régularité et dans le caractère conventionnel que résident les qualités déterminantes de cet ensemble résidentiel qui fait partie du nouveau grand quartier urbain des Plaines-du-Loup, au nord de Lausanne, et qui porte le nom prosaïque de ‹Pièce urbaine C›. Il y a lieu cependant d’ajouter que la régularité, chez Nicolas de Courten, ne doit pas être assimilée à une rigidité inutile, et que la disposition conventionnelle des logements n’équivaut pas à un renoncement au soin et à la précision dans la conception. Peut-être faudrait-il de toute façon nuancer: ce n’est pas tant la régularité à elle seule qui caractérise le projet de Nicolas de Courten, mais l’équilibre entre règle et exception, entre banalité et originalité – un jeu de contrastes qui s’exprime à de nombreux niveaux.

Le charme de la simplicité
Tout commence avec le matériau de construction qui, typiquement, recourt à une technique aussi simple que non conventionnelle: la brique monolithique.«Le travail avec la brique monolithique ressemble au travail avec le bois», explique de Courten, «le choix du matériau influence toute la conception. La largeur du module, qui est de 25 centimètres, détermine chaque largeur de fenêtre, chaque solution d’angle, et donc finalement l’ensemble de la construction urbaine.»
Il n’est guère surprenant que la brique monolithique gagne en popularité non seulement chez de Courten, mais aussi chez de nombreux architectes, car elle permet enfin de construire des murs qui sont tout simplement des murs, et non des structures techniques multicouches. Remplies de matériaux isolants minéraux, les briques monolithiques assument toutes les fonctions du mur extérieur: elles portent, elles isolent, elles protègent. En même temps, les modules de briques monolithiques répondent à la sensibilité écologique. Ils sont exempts de polluants, atteignent de bonnes valeurs en termes de stockage de chaleur, sont ouverts à la diffusion et créent un climat intérieur agréable. Ce qui paraît simple nécessite pourtant une grande précision dans la conception – surtout lorsque la construction en brique monolithique doit rivaliser en coût avec une méthode de construction traditionnelle. «Au début, le client aurait préféré construire de manière conventionnelle», explique de Courten. «Nous avons d’abord dû le convaincre du fait que la brique monolithique pouvait aussi être économique.» Et économique signifiait dans ce cas: répétitif. «Nous avons investi un travail considérable dans l’élaboration des plans et simplifié beaucoup de choses. Mais pour nous, cette simplification en a valu la peine.»
Ce qui nous ramène aux plans des appartements qui étaient peut-être un peu plus amusants au début. Et à l’aspect conventionnel, qui n’a rien à voir avec le confort architectural, mais plutôt avec le réalisme: le maître d’ouvrage – un regroupement de trois promoteurs immobiliers d’utilité publique souhaitant offrir des logements abordables pour les familles sur le terrain C des Plaines-du-Loup – ne voulait pas du tout d’appartements spéciaux, raconte de Courten. Et de compléter: «Pour nous, l’important était que ce soit bien construit.»
L’astuce de la volumétrie pliée
Les appartements ordinaires possèdent toutefois des qualités extraordinaires – surtout l’orientation multidirectionnelle qui, dans la plupart des cas, permet des vues vers différents points cardinaux et vers des espaces extérieurs. Cette ouverture variée vers l’extérieur va de pair avec l’agréable luminosité des espaces intérieurs, mais elle est en même temps relativisée par l’épaisseur visible des murs extérieurs dans les embrasures des fenêtres qui, au cœur d’un quartier densément construit, procurent un sentiment de protection et d’intimité. L’orientation multidirectionnelle trouve son origine dans la volumétrie pliée des quatre corps de bâtiment, qui permet des appartements organisés en angle ainsi que traversants. Au total, on retrouve 12 types répartis sur 149 unités d’habitation. Des variations dans la régularité prennent naissance à travers le rajeunissement de la parcelle et des lignes de construction, qui ne sont perceptibles qu’au second regard.
L’astuce de ces volumes pliés a aussi un effet urbanistique: les quatre bâtiments forment ensemble une figure serpentine qui peut être lue tant comme une forme globale que comme une succession de fragments interconnectés. Entre eux se créent des connexions transversales qui bénéficient à la mise en réseau des espaces extérieurs de l’ensemble du quartier. Située sur une parcelle inhabituellement étroite, la ‹Pièce urbaine C› ne peut pas offrir de cours intérieures classiques. Néanmoins, le projet sépare le côté privé du côté public. Au nord, où le plan d’urbanisme prévoit une bande verte, chaque bâtiment définit une cour protégée avec pelouse et arbres. Du côté sud, plus public, deux bâtiments encadrent chacun une place commune sur laquelle s’ouvrent toutes les entrées et les utilisations publiques, de la crèche à l’épicerie en passant par les buanderies et les bureaux.«L’espace habitable devait être simple et économique», explique Nicolas de Courten. «Mais ce que nous pouvions offrir comme lieu d’échange et de vie commune, c’étaient les espaces extérieurs. Ce sont ces places qui peuvent accueillir la vie publique.»
Les trois places sont des lieux qui ne sont créés que par l’architecture elle-même. La masse palpable de la brique monolithique confère aux bâtiments la présence nécessaire. Toute lourdeur potentielle est contrebalancée par l’abstraction plane des différentes couleurs de crépi, des couches de peinture et des plaques de revêtement qui donnent à l’ensemble une vivacité colorée. Un changement de crépi à hauteur des garde-corps du premier étage définit un socle, mais crée aussi sur les places l’illusion d’un espace encadré. La piazza comme salon public?«Le premier espace est la place entre les bâtiments», déclare Nicolas de Courten.
La valeur du concours ouvert
Le caractère judicieux de la décision urbanistique et l’efficacité de l’agencement des plans frappaient déjà dans le concours que Nicolas de Courten a remporté en 2017. Sa participation n’était pourtant pas acquise, car les concours de cette envergure se déroulent souvent sur invitation ou par procédure sélective. Les arguments sont connus: des projets coûteux et de grande envergure nécessitent l’expérience et la fiabilité des bureaux d’architecture bien établis, le risque étant trop grand de faire naufrage avec de jeunes architectes inexpérimentés. La subtilité et la détermination avec lesquelles de Courten et son équipe ont développé le projet au fil des ans après leur victoire au concours pour enfin le réaliser prouvent une fois de plus le contraire. La ‹Pièce urbaine C› est donc avant tout un argument fort en faveur de la valeur du concours ouvert: non seulement il permet aux jeunes architectes de se lancer dans l’indépendance, mais il apporte aussi un vent nouveau à la culture du bâti, de nouvelles idées et un engagement qui font parfois défaut dans les bureaux plus expérimentés.

De plus, être jeune n’est pas synonyme d’inexpérience. Nicolas de Courten avait 32 ans lorsqu’il a remporté le concours. Après son diplôme obtenu en 2012, il avait travaillé au bureau Esch Sintzel Architekten à Zurich et avait acquis diverses expériences – notamment avec la brique monolithique, qui devait jouer un rôle important à Lausanne. En 2016, il a réduit son temps de travail au bureau à 50 %, et il est retourné à Lausanne où il a participé à des concours ouverts. S’il n’a pas remporté de victoire, il s’est néanmoins classé plusieurs fois parmi les premiers.«Les prix m’ont permis de financer mon indépendance pendant un an», raconte de Courten. «J’ai pris mon temps jusqu’à la fin 2017. Et en novembre, j’ai effectivement gagné le concours à Lausanne. C’était, en quelque sorte, ma dernière chance.» Le fait qu’il ait pu saisir cette opportunité est une chance pour lui – et pour le quartier Plaines-du-Loup.
L’avis du jury
De grands résultats avec des moyens simples
Avec la ‹Pièce urbaine C›, Nicolas de Courten réalise une première œuvre d’une maturité et d’une cohérence remarquables. Issu d’un concours ouvert pour un terrain de construction étroit, le projet apporte une contribution importante sur le plan urbanistique, architectural et social au nouveau quartier des Plaines-du-Loup, au nord de Lausanne. Les quatre volumes bâtis coudés forment une figure qui crée à la fois des cours vertes protégées et des places publiques, tout en enrichissant le quartier de passages. Des bâtiments robustes aux nuances subtiles sont créés à partir de la brique monolithique, abritant des appartements ordinaires d’une qualité extraordinaire. C’est un exemple parfait de ce qui peut être accompli avec des moyens simples – de manière économique, écologique et joyeuse.
Ensemble résidentiel ‹Pièce urbaine C›, 2024
Rue Germaine-Ernst, Chemin des Bossons, Lausanne
Architectes: Nicolas de Courten architectes, Lausanne
Maîtrise d’ouvrage: Fondation Lausannoise pour la Construction
de Logements (FLCL), Société Coopérative d’Habitation Lausanne (SCHL), Fondation Pro Habitat Lausanne (FPHL)
Conduite des travaux: Pragma Partenaires, Lausanne Bauingenieur: AFRY Suisse, Lausanne
Architectes paysagistes: DUO Architectes paysagistes, Lausanne
Coût (CFC 1 à 9): 58 millions de francs
Nicolas de Courten
L’architecte Nicolas de Courten (39 ans) a étudié à l’EPF à Lausanne, à la Royal Danish Academy à Copenhague ainsi qu’à l’ETH à Zurich. De 2012 à 2017, il a travaillé au bureau zurichois Esch Sintzel Architekten. Il a fondé en 2017 à Lausanne le bureau Nicolas de Courten architectes.