Bain de forêt linéaire

Le Lièvre d’argent dans la catégorie Architecture du paysage est décerné à l’atelier Apaar. Son projet démontre que l’exploitation de la forêt, les loisirs et la biodiversité ne s’excluent pas mutuellement.

 

Fotos: Timothé Beuret

Le Lièvre d’argent dans la catégorie Architecture du paysage est décerné à l’atelier Apaar. Son projet démontre que l’exploitation de la forêt, les loisirs et la biodiversité ne s’excluent pas mutuellement.

 

L’essor démographique dans les villes et agglomérations met les espaces verts à rude épreuve. Cela accroît du même coup la pression d’exploitation sur la forêt, en particulier dans les zones urbaines. Ce sont les communes qui déterminent comment renforcer et valoriser la forêt en tant qu’espace climatique proche de la nature, lieu de contemplation et aussi espace libre bénéfique sur la santé. Avec une modeste intervention architecturale, la commune genevoise de Carouge a aménagé un petit bois discret pour le rendre plus propice à la détente: elle a transformé un sentier peu attrayant en un chemin forestier sensoriel. Cet aménagement soigné prouve qu’une exploitation plus intensive de la forêt par l’homme n’est pas nécessairement en contradiction avec les fonctions de loisirs, de production de bois et de biodiversité.

Le chemin forestier rénové à Carouge semble une évidence, comme s’il avait toujours été là sous cette forme.

Là où la pente est particulièrement raide et où le chemin borde directement les arbres, la stabilisation du côté de la vallée a été réalisée en bois.

Priorité aux poussettes et aux arbres
Le chemin longe une étroite lisière forestière bordant une moraine glaciaire depuis l’entrée sud du centre historique de Carouge jusqu’à la rive sinueuse de l’Arve. Ici, Carouge n’est ni ville ni campagne, mais est surtout marquée par la juxtaposition d’éléments suburbains sans lien avec une structure dominante. En valorisant ses espaces verts, la commune s’inspire de ce qui a toujours été là: les espaces paysagers naturels, l’Arve, et en particulier la colline morainique. Dans le cadre de cette stratégie de développement, Carouge a aménagé ce sentier forestier non stabilisé situé entre le centre de la commune et la rivière, le rendant – surtout – accessible aux poussettes. Ce tronçon relie un quartier résidentiel à une crèche très appréciée et à la ferme pédagogique voisine. Avant même son aménagement, ce sentier était déjà largement fréquenté, mais uniquement parce que l’alternative était peu attrayante: la liaison piétonne asphaltée située un peu plus bas longe une route très passante, bruyante et dépourvue d’ombre.

L’escalier en pierre avec son mur de soutènement à l’extrémité est du chemin a été en grande partie rénové.

Pour les travaux d’aménagement, le bureau paysagiste apaar s’est fixé trois règles: 1. Le chemin doit s’adapter aux arbres. 2. La stabilisation du terrain du côté de la vallée doit être en bois là où la pente est particulièrement raide et où elle borde directement des arbres. 3. Là où il y a suffisamment d’espace de travail et de mouvement pour la construction, la stabilisation doit être réalisée en pierre. Ces règles ont non seulement conduit à un traitement soigneux de l’écosystème forestier existant, mais aussi à davantage de planification réalisée directement sur le chantier. Peu de plans d’exécution se sont avérés nécessaires. Cependant, cette économie a été compensée par une supervision plus intensive du chantier.

Pour minimiser les travaux de terrassement, apaar a fait poser le nouveau chemin forestier directement sur l’ancien. De ce fait, le nouveau chemin est aujourd’hui 12 centimètres plus haut, et en raison de la pente, il est aussi devenu plus large. Sa structure en calcaire à gros grains provenant du Salève – la montagne emblématique des Genevois –, il empêche la formation de cavités plus grandes et s’adapte au terrain. Cela garantit non seulement la stabilité et la solidité nécessaires, mais aussi l’élasticité, car la moraine bouge – même si ce n’est pas visible ni perceptible. La canopée des arbres évite une érosion trop importante.

Stabilisation du bord du chemin, en pierre: les moellons provenant du Salève sont disposés de manière irrégulière.

Stabilisation du bord du chemin, en bois: des pieux en bois d’acacia maintiennent en place les troncs d’arbres issus de la forêt locale en les empêchant de glisser.

Patine forestière
Parce que c’est le chemin qui s’adapte aux arbres existants et non l’inverse, il se resserre à leur hauteur et s’élargit là où il n’y en a pas. Cette sinuosité singulière le long de la pente met en valeur certains arbres et relègue à l’arrière-plan le chemin lui-même – ce qui est tout à fait dans l’intention du bureau d’architecture du paysage. Les feuilles et les branchages qui jonchaient le sol lui ont d’ailleurs très vite conféré une patine forestière. Le chemin semble une évidence, comme s’il avait toujours été là sous cette nouvelle forme. Les planificatrices ne considèrent donc pas leur intervention uniquement comme l’amélioration d’une connexion entre un point A et un point B, mais plutôt comme une offre de bain de forêt linéaire au cœur d’une zone urbaine.

Si les arbres ont des valeurs écologiques différentes, ils sont pourtant tous traités sur pied d’égalité: pour protéger leur système racinaire, là où le chemin rencontre les arbres, il n’est renforcé du côté de la vallée qu’avec le strict minimum de rondins et de pieux nécessaires issus de la forêt locale. En règle générale, la liaison est composée uniquement de matériaux naturels et locaux. Le calcaire jaune du Salève n’a pas non plus été maçonné, mais a été disposé de manière irrégulière. Cela crée des habitats pour les petits animaux et rappelle les murs de pierres calcaires concassées existant dans le quartier. Ces nouvelles fixations de bordures de chemin font également le lien avec l’escalier en pierre rénové situé à l’extrémité est du chemin, avec son nouveau mur de soutènement.

Cette intervention soignée célèbre la vie forestière et la nature. Elle est également un exemple de la manière dont une bonne architecture du paysage peut être réalisée sans concept de plantation et avec peu de planification d’exécution. À Carouge, ce n’est pas une simple liaison entre un point de départ et un point d’arrivée qui a vu le jour, mais bien davantage: un espace de détente sensoriel. Et ce, pour une fraction du coût qui aurait été nécessaire pour aménager un parc dans une zone résidentielle.

Plan de situation:
1    Raccordement au chemin principal
2    Priorité à l’arbre
3    Nouvel accès par escalier
4    Petite place avec fontaine

L’avis du jury
Dans la forêt et avec la forêt
Un nouveau chemin forestier qui stabilise un sentier existant relie le quartier résidentiel, la route et la crèche. Le bureau d’architecture du paysage apaar a créé un lieu poétique avec son aménagement. Ce qui séduit, c’est le soin apporté au matériau, la subtilité des interventions, la précision artisanale. La promenade dans la forêt reste une expérience naturelle, même pour les élèves de l’école voisine. Le chemin met en scène la forêt, offre des habitats pour tout ce qui rampe et vole, et rend les saisons visibles. Le projet soulève aussi un autre thème de discussion: sur le plan juridique, une forêt en zone urbaine diffère de ce qu’on appelle une ‹zone de détente› ou une ‹zone libre de construction›. Ce petit bijou montre comment l’architecture du paysage peut prendre soin de la forêt.

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